Le froid rougi tes joues, Aleennore, bien qu’emmitouflée dans une épaisse cape au col ornée d’une fourrure aussi blanche que ta peau. Si la fête à laquelle tu assistes aujourd’hui célèbre la fin de l’hiver et les prémices du printemps, l’air est encore des plus frais et les températures extrêmement basses pour une fille du sud comme toi. Un peu plus avant toi, tes compagnes de voyage. Même si c’est plus toi l’accompagnante dans cette situation. D’abord, Iminyë, fille de ses contrées, qui ouvre la marche. Si tu as eu des réserves à l’arrivée de cette menaïade quelques années plus tôt, tu la considère désormais comme une véritable amie et apprécie grandement sa compagnie. Derrière elle, à la chevelure de feu qui se démarque dans le paysage froid, Aleyna. Celle dont tu partages la vie depuis la moitié de la tienne et qui tiens la main de son neveu, fruit de l’union de deux peuples.

Tout autour de vous, l’effervescence de la célébration. Le brisement des eaux glacées du lac est un évènement principal et c’est avec respect que tu observes les enfants de Menuin s’y adonner à cœur joie. La spiritualité du moment est presque magique et tu y assistes légèrement en retrait. Car si tu comprends le passage important d’une saison à l’autre pour le peuple menaïade, tu n’en restes pas moins une fille d’Olinwë. Et en tant que telle, tu finis par t'avancer en silence pour poser délicatement ta main sur l'épaule d'Aleyna.

Devant lui, son père, cette bête noueuse et haute, se saisit de la pioche, dont le manche semble n'être qu'une brindille dans cette pogne monstrueuse. Alors, Willas se dresse de toute sa hauteur, brandit ce symbole au dessus de lui. L'on peut vitupérer longuement sur la noblesse de l'esprit du souverain mais son enveloppe corporel, cette charpente robuste, celle d'un guerrier, qui a fait son renom, elle, n'a que louanges à recevoir de ses inférieurs. Autour de lui, des flocons virevoltent et tourbillonnent, les vents polaires mugissent leur hymne inquiétante, la lumière pure se réfléchit sur la glace limpide, donnant naissance à des reflets irisés et miroitant. S'érigeant au cœur de ce canevas nivéen, dans cette pause figée, Willas II Ravenstone, drapé de ces lourds manteaux de fourrure que le vent fait danser autour de lui, le temps d'un battement de palpitant, irradie d'une majesté digne d'un Roi. L'horion est à la hauteur du colosse qui l'assène et l'acier mord durement la glace, qui émet des craquements plaintifs. Il se retourne alors, foudroie son fils d'un regard noir, qui le soutient sans sourciller, et lui tend la pioche. Personne n'a oublié la frasque du Freux, ces deux hommes qui se mirent avec tant d'animosité moins que quiconque. Wilhelm se saisit de la pioche et lorsqu'il accomplit ce geste, à son corps défendant, il grigne, comme si la haine qui gronde dans l'âtre de ses tripes ne peut être endiguée par la façade marmoréenne, qu'elle se doit, incoercible, de déborder.
Il s'en saisit, donc, et planta de toutes les puissances de son être la pioche dans la glace, comme s'il voulait, par ce mouvement rageur, exorciser l'animosité qui l'habite.

La plèbe se joint à l'exercice et l'on peut sentir la liesse des badauds, qui effectuent en quelques sortes un acte de dévotion et qui peuvent presque frôler la dynastie Ravenstone. Wilhelm observe tout cela avec un suprême détachement, n'ayant goût pour la spiritualité et la piété. Il se réfugie au dedans de lui, n'offrant qu'un sourire courtois et un regard blême, à l'éclat éteint, tandis que les nobliaux viennent flagorner la famille royale et effectuer les courbettes de bienséance. Toutefois, si mécanique et distant qu'il paraît, ses éclats d'onyx scrutent, scrutent les sourires factices ou sincères, et il jauge les personnages qui gravitent autour de sa famille, les épie, cherchant à déceler le mépris ou la félonie. Oh, tous ces hauts seigneurs et élégantes dames connaissent le jeu, leurs masques souriants et sémillants sont bien en place, sous lesquels ils ensevelissent leur visage véritable. Toutefois, les yeux sont les fenêtres vers l'âme et dans certains de ces yeux nobles, le Freux décèle une lueur rogue qu'il jure silencieusement d'éteindre.