Encore un énième événement auquel elle n'échapperait pas. Némérys l'avait prévenu et d'ailleurs, sa robe était prête. D'un blanc crémeux, le tissu soyeux était parsemé de quelques perles d'or. Un joyau trop doux pour elle. Une pureté qu'elle ne mérite pas. Elle ne protesta pas bien longtemps, consciente que rien ne ferait changer d'avis son amie. Elle capitule en soupirant, se soumet aux ordres donnés sans broncher. Petite princesse qui se doit d'être parfaite. Silencieuse, ombre parmi les ombres, elle reprend un rôle qu'elle a depuis longtemps déserté. Un rôle qu'elle déteste mais qui lui colle à la peau, lui sied, épouse ses formes. Alors elle se rend au bal, ses longs cheveux d'ébène cascadant dans son dos, un collier d'or complète sa parure, orne son cou, brille. Elle tient fermement le bras de Némérys alors qu'elles pénètrent dans la salle richement décoré où déjà les convives discutent, boivent et mangent, dansent. Le souvenir encore frais des joutes ne semblent pas gâcher la fête. Lyara, elle, ne pense qu'à ça. Troublé par la mort du jeune chevalier Brydan Caerlight, elle revoit le regard malsain de Cenric et cette façon triomphante qu'il avait de se comporter. Elle frissonne à l'idée d'être si proche, et pourtant si loin, de cet homme. Son regard scrute la salle à la recherche d'un visage familier autre que les Silvershell. Elle n'écoute pas la conversation qui se joue entre Némérys et sa sœur cadette Aleyna. Elle capte le regard courroucé de ses cousins et celui plus menaçant encore de son père. Elle garde le dos bien droit, soutient un instant ce terrible regard avant de plier et de s'intéresser vaguement aux deux jeunes femmes en face d'elle. Elle ne peut pas s'empêcher de les surveiller du coin de l’œil, le clan Whiteshore qui voudrait la voir disparaître, l'humilier publiquement comme elle le fait en cet instant même. Mal à l'aise, elle attrape une coupe de vin sur le plateau d'un serviteur et la porte à ses lèvres, goûtant à peine le liquide couleur de sang. La soirée ne fait que commencer et déjà elle voudrait prendre la fuite.

Elle ne peut pas fuir bien loin, décide simplement de s'isoler dans un coin, son verre à demi plein entre les mains. Elle s'excuse auprès des deux sœurs Silvershell, sent bien que Némérys aimerait faire plus et Lyara la rassure d'un sourire trompeur. Elle n'est pas d'humeur à converser, préférerait se réfugier dans sa chambre, seule ou monter sur le plus haut rempart admirer l'océan. Voilà qui apaiserait son esprit tourmenté. Invisible pour personne, on la suit du regard et elle entend encore quelques brides de conversations, tous se rapportant à elle. A croire que le tournoi n'a pas été suffisamment spectaculaire, que la mort d'un chevalier ne vaut rien et que la montée de l'Ordre des Aigles n'est plus si terrifiante. Dégoûtée, elle fini son verre d'une gorgée, se fiche de ce que l'on en dira. De l'autre côté de la salle, à travers les corps dansant, elle capte le regard discret de Daryün, coincé dans les terribles filets de la famille qui la hait tant. Elle ne s'attarde pas sur lui, à la fois déçue, le cœur douloureux, l'âme torturée. Elle n'a pas le temps de réfléchir à ces derniers jours, à ces moments passés à deux qui ne veulent rien dire et tout à la fois. Elle n'a pas pu le féliciter de sa victoire, lui déjà au sommet, lui que toutes les femmes s'arracheront bientôt. C'est d'ailleurs l'une de ces femmes qui lui obstrue la vue, l'empêche de poursuivre son observation. Elle n'a pas le choix que de la regarder, note son bras en écharpe et la couleur de sa robe qui se confond avec la sienne. Elle grimace, déteste cette fausse ressemblance. Elle ricane, consciente que la blonde n'a aucune idée de qui elle est, ni de ce qu'elle risque en venant lui parler ainsi. « Je vois que vous avez autant d'audace dans une salle de bal que sur une piste de joutes. » Elle se débarrasse de son verre vide avant d'en attraper deux, en offrant un à la jeune femme. « Je n'ai nul besoin de prétendant et l'intimidation ne m'atteint pas. En fait, c'est tout le contraire. Je suis celle qui fait fuir ces petits oiseaux sans cervelles. Moi et ma réputation. »

C'en est presque grisant de ne pas être reconnue. Elle pourrait sourire avec sincérité à cette inconnue. Elle pourrait. Mais la sincérité a depuis longtemps abandonné Lyara. Ne reste que des mensonges tristes, dénués de sens. Elle garde son verre à la main, ne daigne pas y toucher, son regard triste balayant la salle, accrochant sans le vouloir l'azur de ses iris (Daryün). Son cœur manque un battement et très vite la voix d'Ysaleen la rappelle à la réalité. « Souvent ? Vous êtes bien optimiste. Le monde n'est qu'apparence. Un bal permanent, une danse effrénée de laquelle on ne s'échappe qu'avec la mort. » Elle a un pâle sourire tandis que son regard se perd à nouveau. Elle inspire profondément, trempe ses lèvres dans le liquide ambré. « Qu'importe votre nom ou votre réputation, vous me semblez au moins autant à l'aise que je ne le suis. » Elle lui sourit, presque sincère, assurément amicale. Redevable pour ce secours inattendu et cette prise de position. Sans cette jeune femme, Lyara se serait déjà enfuit dans les méandres du château. Et alors ils auraient gagné la partie. Encore. « Je crois que nos deux noms réunis feront jaser longtemps ces écervelés. »

Elle voudrait réussir à garder les yeux rivés sur la jeune femme et ne pas se soucier de sentir l'animosité percer sa carapace. Elle voudrait tellement ne pas sentir le regard brûlant des siens sur sa peau et celui de Daryün, plus perçant que les autres. Immanquablement, ses yeux le cherche, attirés malgré eux par son aura. Elle écoute d'une oreille distraite sa compagne, souriant poliment, l'air absent, absorbée par les lèvres d'un autre. Ce n'est qu'en entendant le nom d'Ysaleen Coldwaters qu'elle retrouve la réalité et reporte son attention sur la jeune femme. Elle ne connaît le nom que de réputation, aussi vague soit-elle. Pas entièrement coupée du monde, Lyara garde les oreilles en alerte. « Ysaleen... » murmure-t-elle, distraite, comme dans un rêve. « Enchantée. » Elle accueille avec un sourire triste la dernière remarque. Elle admire l'élan d'espoir dont fait preuve Ysaleen, naïveté bienvenue. Elle n'a plus ce luxe. « Lyara Blackwater. Mon nom est déjà sur toutes les bouches. Rien de ce que vous direz ne changera quoique ce soit à leurs manières. » Peine perdue. Ils savent à quoi s'en tenir. Si Ysaleen ne connaît pas la jeune femme, ne semble pas même la reconnaître, les vipères assemblées dans la pièce, se souviennent. Elle prend une longue respiration, prête à rebondir, à poursuivre cette conversation plus qu'agréable de son point de vue, quand le ton monte de l'autre côté. On lui lance de nouveaux regards assassins et Lyara prie les Dieux de la faire disparaître sur le champ. « J'ai bien peur de ne pouvoir m'attarder plus longtemps. » Elle déteste se montrer si faible, pauvre enfant, oiseau aux ailes brisés. Néanmoins, elle refuse d'être le sujet de nouvelles railleries, ni d'être la raison d'une querelle. La famille souveraine mérite mieux.

Le bal vient tout juste de démarrer lorsque Daryün entre dans la salle de réception au côté de la famille Whiteshore, élégamment habillé de vert émeraude, légèrement réhaussé de fines décorations dorées – les couleurs des Nosgard – dont un magnifique Phoenix brodé sur son torse. La semaine prend fin, le désignant vainqueur du tournoi, non sans mal toutefois. Il s’efforce d’ignorer son épaule encore douloureuse lorsqu’il va saluer les différentes familles nobles présentes ce soir. On le félicite, on lui serre la main, et l’espace d’un instant il se laisse aller au plaisir d’être là. Inconsciemment cependant, il la cherche du regard, balayant les danseurs qui tourbillonnent au centre de la salle. Leurs yeux se croisent finalement, le temps d’un battement de cœur. Elle est là, magnifique dans une longue robe blanche rehaussée de perles dorées. Il n’a pas le loisir de l’admirer, Ysaleen la rejoint et il détourne le regard pour ne pas être surpris par Domerick. Mais il continue de garder un œil sur elle, discrètement, observant sa conversation avec la blonde tandis qu'il parle avec le fils héritier de la famille Steepcliff.

Malgré les tensions entre les familles et les nombreuses questions sur les évènements récents, la soirée se passait dans la calme. Jusqu’à ce que, sous les yeux de l’assistance médusée, Horick Whiteshore traverse la salle, rouge de colère, pour se planter devant celle qui avait tourné leur famille en ridicule. S’excusant auprès de son interlocuteur, Daryün se rapproche de Domerick et de Lyara par la même occasion, dont le visage pâlit à mesure qu’Horick crache son venin. Ils sont trop loin et la musique recouvre sa voix, mais les mots sont suffisamment violents pour que Lyara, malgré sa force, perde légèrement contenance devant celui qu’elle croyait autrefois son père. « Votre frère se donne en spectacle. » Son ton n’est pas arrogant, mais il est dur, ferme. « Si vous permettez. » Il marque une pause, se tourne vers Domerick pour le regarder droit dans les yeux. « Je peux m’occuper d’elle. »

Le chef des Whiteshore jette un regard vers son frère, pensif. Il n’ignore pas le passé qui lie Daryün et sa nièce, mais le ton froid de son vassal et sa détermination le convainquent, et d’un ordre adressé à son garde, il fait rappeler Horick à ses côtés. L’homme peine à retrouver son calme tandis que l’aîné des Whiteshore lui adresse quelques mots à l’oreille puis hoche la tête en direction du jeune Nosgard. L’instant suivant Daryün, le visage fermé, avance vers la brune dont les yeux encore apeurés lui brisent le cœur. « Accepteriez-vous cette danse, Dame Blackwater ? » Il sait que c’est ainsi qu’elle se fait appeler aujourd’hui et refuse de l’appeler par son nom de naissance. Elle n’est pas de leur famille et Daryün en remercie les dieux à chaque fois qu’il la voit. Elle n’a rien à faire au cœur de cet immonde nid de vipères. « Ne t’inquiète pas. Fais-moi confiance. » Chuchote-t-il doucement, son regard et toute son attitude restant froids cependant. Il doit maintenir les apparences devant le reste de l'assistance qui continue de les observer avec attention.

Lyara n’a pas le choix, elle accepte et Daryün l’emporte vers la piste de danse à l’instant où l’orchestre commence un nouveau morceau. Le couple déambule gracieusement entre les autres danseurs. « Ce n’était pas prudent que tu viennes ce soir. Domerick est prêt à tout pour te faire revenir à Mirilith. Il ne reculera devant rien. » Il chuchote pour ne pas être entendu, profitant de quelques secondes de proximité pour lui glisser ces quelques mots. « Quoiqu’il ait l’intention de faire pour te récupérer, il mettra tous les moyens à sa disposition pour faire cesser l’humiliation. » Le rythme de la danse se calme, ils se rapprochent et Darÿun place sa main dans le dos de Lyara. Son visage est froid, presque haineux, mais sa voix est douce, rassurante.  « Lorsque la musique s’arrêtera, je repartirais vers Domerick et tu devras partir, quitter cette salle sans te retourner. »  Ils s’éloignent de nouveau puis se rejoignent tandis que les dernières notes retentissent. « Je suis désolée Lyara, j’aurais aimé qu’il en soit autrement. » Leurs vies sont entre les mains des Whiteshore, même aujourd’hui alors qu’elle est loin d’eux. Il n’a pas le temps de lui dire un dernier mot. Ils se joint aux autres danseurs pour applaudir l’orchestre puis, après une révérence, s’éloigne de la belle sans un regard.

Une fois à côté de Domerick, il n’a que le temps de retourner pour la voir partir, ses longs cheveux noirs se balançant derrière elle. Il n'avait même pas pu lui faire ses adieux avant son départ du lendemain. Il échappe un léger soupir, puis ravalant ses regrets, reprend son rôle auprès de Domerick.