La faiblesse était encore présente en elle. Son regard fatigué et ses traits tirés témoignaient encore et toujours de cette souffrance passée qui n’était que trop présente dans les pensées de la jeune femme. Elle avait chevauché toute la journée, achevant son voyage vers Eriamor. Son épaule la lançait encore terriblement et ce fut avec soulagement qu’une jeune fille l’aida à changer le pansement qui bandait sa plaie. Elle n’était pas encore totalement cicatrisée et elle devait encore se montrer méfiante vis-à-vis de cette épaule gauche. Pourtant, elle portait déjà son épée au côté, prête à s’en servir si le besoin s’ne faisait sentir.

Ce fut en miraculée qu’elle était rentrée à Thern, traversant la forêt dans une chevauchée qui fut certainement la plus dure de sa vie. Aerdenn s’était empressé de lui venir en aide à son arrivée, cherchant à comprendre ce qui lui était arrivé. Alors elle lui avait raconté sa malencontreuse rencontre avec ces être barbares qu’étaient les Aigles, suivie de son sauvetage par un triton des mers et son équipage. En échange de ces nouvelles, il lui annonça la disparition du prince Edderion Silvershell, égorgé sauvagement lors d’une partie de chasse. Ses agresseurs n’étaient certainement pas n’importe qui, au contraire. C’était eux. Forcément. Alors, le frère et la sœur étaient entrés dans un conflit fraternel. Elle souhaitait prendre les armes, il préférait garder une distance mesurée et politique avec cela pour protéger les siens. Elle pouvait le comprendre et pourtant, elle détestait ce choix. Apprenant la réunion qui se tenait prochainement à Eriamor, elle avait été trouver Caïn pour le prévenir, le menaçant presque de s’y rendre. Puis, elle avait tout fait pour faire changer son aîné d’avis, en vain. Elle avait alors repris la route, seule, vers la ville côtière, ne sachant pas ce qui pourrait l’attendre là-bas.

Suivant les instructions qu’elle avait reçu, elle se rendit au lieu indiqué, se retrouvant face à un garde et deux bassins. Il ne lui fallut guère longtemps pour comprendre de quoi il en retournait. Alors, lui adressant un regard empli de défi, elle retira un à un ses vêtements avant de finir nue face à lui. Il lui indiqua le bassin d’eau douce et la jeune femme s’y allongea, prenant soin de ne pas mouiller son pansement. L’apparition de sa nageoire dorée ne se fit pas attendre et l’homme vint l’aider à sortir de là. Elle se sécha rapidement et se rhabilla, levant le regard au plafond quand l’homme lui fit un clin d’œil entendu. Encore un qui méritait un bon rappel à l’ordre.

Quand les portes s’ouvrirent, elle manqua d’air, comme soufflée par la présence de tous ses pairs. Tous étaient venus dans le but de faire entendre leur mécontentement. Certains déjà, parlaient plus forts pour faire entendre leur expérience, leur haine et leur soif de vengeance. Ysaleen sourit, presque satisfaite de constater la présence d’hommes et de femmes qui, comme elle, souhaitait se dresser face aux Aigles. Son bras en écharpe, elle s’avança parmi la foule, ses cheveux blonds tombant sur ses épaules. Elle aperçut alors Caïn et un sentiment de satisfaction se fit sentir en elle. S’avançant vers le brun, un large sourire aux lèvres, elle ne comprit pas immédiatement qu’elle interrompit quelque chose, s’imposant comme l’audacieuse femme se plaisait à le faire. « Alors le timide triton du lac Ardlos est finalement venu ? Je te dois un verre pour pareil effort, je pense. » Sans prévenir, elle vint embrasser la joue du jeune homme, lui signifiant ainsi la gratitude qu’elle avait quant à sa présence. Puis, son regard azuré croisa celui d’un homme – ou plutôt d’un triton – qui ne lui était pas inconnu et la surprise se dessina sur son visage. « Cassius… » Sa voix était douce, tendre et emplie de cette reconnaissance qu’elle avait pour cet Olaïade. Elle aurait aimé lui dire tant de choses et pourtant, la seule qui sortit fut « Tu es là… » Elle essaya de reprendre contenance avant de finalement froncer les sourcils et observer les hommes l’un après l’autre. « Vous vous connaissez ? »

Retrouver Cassius et Caïn ensemble était un fait surprenant. Découvrir leur lien familial était… Décontenançant. Ysaleen écarquilla doucement les yeux devant pareille annonce, son regard oscillant entre celui un peu froid de Caïn et celui trop fier de Cassius. Elle ouvrit la bouche pour essayer de démêler ce quiproquo incroyable quand une fois plus forte tonna, calmant les discussions en aparté et forçant les têtes à se tourner vers lui. Un triton avait pris la parole, remémorant à tous les raisons de leur venue. A l’énonciation du nom d’Edderion, Ysaleen adressa une douce prière mentale à Menuin pour qu’elle prenne soin de cette âme. Puis, les réactions se firent sentir devant l’engouement général de la situation. Quand tous hurlèrent le nom des Aigles, elle ne put réprimer un frisson, portant machinalement sa main sur son épaule encore pansée. Se cacher ? Les laisser faire ? Dans l’esprit de la blonde, les choses étaient claires mais elle attendit de voir ce qu’en pensaient ses frères et ses sœurs, scrutant du regard les visages, tendant les oreilles pour essayer de comprendre ce qu’il se disait.

Qu’elle ne fût pas sa surprise quand une voix poussée passa au-dessus des autres, attirant bon nombre de regards sur lui tandis que Caïn s’avançait. L’écoutant, elle eut un sourire doux vis-à-vis du triton qu’elle appréciait grandement. Il avait raison. La haine ne pouvait être orientée vers la race humaine en générale, il leur fallait se montrer réfléchis et tactiques pour mieux frapper leur ennemi véritable. Et finalement, devant la conclusion de ce dernier, elle se sentit pousser des ailes. « Notre sang n’a déjà que trop coulé. » Son regard glissa vers Cassius. Lui savait de quoi elle parlait et elle eut un léger signe de tête entendu à son égard. Pour l’heure, elle ne souhaitait rien dire de plus, laissant Caïn se placer dans la lumière, l’appuyant d’un nouveau regard conquis et cherchant des yeux celui – ou celle – qui prendrait sa suite. La Coldwaters avait une verve écrasante et elle espérait bien faire entendre sa voix, mais seulement en temps voulu.

La verve de Cassius était plus dure que celle de son cousin. Il y avait du vrai dans ses paroles bien qu’elles étaient portées à l’extrême et qu’il pouvait être douloureux de suivre pareille voie. Ysaleen adressa un regard désolé au jeune triton qu’elle avait entraîné dans cette situation, ne sachant pas trop quoi dire. C’est alors que le triton qui dominait la séance appuya les dires de Cassius, cherchant à calmer la foule qui hurlait déjà au bain de sang. Elle porta la main à son épaule, massant en grimaçant la blessure encore fraîche infligée par un de ces foutus pêcheurs.

La porte s’ouvrit forçant le silence tandis qu’une voix de femme se faisait entendre. La grande brune semblait se juger indispensable pour oser de pareils propos et Ysaleen leva les yeux au ciel devant tant de cérémonie. Elle ne méritait pas plus qu’un autre des louanges et des hommages. Ici, ils étaient tous égaux. Mais alors qu’elle était prête à lancer une phrase tranchante, le triton eut le mérite d’attirer son attention. Le spectacle qui suivi fut alors accablant. Un homme enchaîné et défiguré fit son entrée avant d’être présenté comme un pêcheur. Le visage d’Ysaleen se figea un instant avant qu’un grognement ne sorte de sa gorge. La colère voila son regard et, oubliant même ses blessures, elle s’avança droit vers l’estrade sans que personne ne l’en empêche. Elle s’approcha de l’homme, plaçant son visage à quelques centimètres du sien. « Alors tel est pris qui croyait prendre, sale chien. » Elle le gifla sans plus de cérémonie. Ce n’était peut-être pas celui qui l’avait blessé, mais il allait payer pour ça. Deux tritons l’attrapèrent alors pour éviter qu’elle ne le passe à tabac d’elle-même, la faisant rager et réveillant la douleur de son épaule. Alors, quand il la lâchèrent, elle laissa son cœur et sa rage exploser. « Edderion Silvershell n’était qu’un triton. Si nous devons honorer sa mémoire, ce conflit n’était pas uniquement le sien. C’est le notre à tous. Ces monstres s’en sont pris à nous, égorgent nos proches, avant de vous frapper quand vous aurez le dos tourné ! » Elle tira sans ménagement sur sa tunique pour révéler le pansement qui lui bandait l’épaule. « Ma vie, je la dois à un triton autant qu’à Menuin qui m’a renvoyée sur cette terre pour me venger autant que les miens. Nous sommes frères et sœurs et ce sont eux – elle pointa du doigt le blessé – « qui nous divisent ! A ceux qui souhaiteront soutenir notre cause, alors laissons les entrer dans nos rangs. Aux autres, nous réserverons le même sort qu’ils nous réservent. » Son regard se posa sur l’insecte attaché qui l’observait. « Et je me ferais un plaisir de commencer dès maintenant. »